Premières lignes #6

Ami.e.s lecteur.ice.s, bonjour/bonsoir, j’espère que vous allez bien !

Nous sommes mardi et qui dit mardi dit : rendez-vous livresque pour découvrir les premières lignes d’un roman – oui, je vous l’accorde, cet intitulé est trop long ! Enfin, bref, je vous laisse avec le roman du jour…

Premières lignes est un rendez-vous littéraire instauré par le blog Ma lecturothèque.

Premières lignes :

« CHAPITRE 1

C’est fini. La plage de Big Sur est vide, et je demeure couché sur le sable, à l’endroit même où je suis tombé. La brume marine adoucit les choses ; à l’horizon, pas un mât ; sur un rocher, devant moi des milliers d’oiseaux ; sur un autre, une famille de phoques : le père émerge inlassablement des flots, un poisson dans la gueule, luisant et dévoué. Les hirondelles de mer atterrissent parfois si près, que je retiens mon souffle et que mon vieux besoin s’éveille et remue en moi: encore un peu, et elles vont se poser sur mon visage, se blottir dans mon cou et dans mes bras, me recouvrir tout entier… À quarante-quatre ans, j’en suis encore à rêver de quelque tendresse essentielle. Il y a si longtemps que je suis étendu sans bouger sur la plage que les pélicans et les cormorans ont fini par former un cercle autour de moi et, tout à l’heure, un phoque s’est laissé porter par les vagues jusqu’à mes pieds. Il est resté là, un long moment, à me regarder, dressé sur ses nageoires, et puis il est retourné à l’Océan. Je lui ai souri, mais il est resté là, grave et un peu triste comme s’il savait.

Ma mère avait fait cinq heures de taxi pour venir me dire adieu à la mobilisation à Salon-de-Provence, où j’étais alors sergent instructeur à l’École de l’Air.

Le taxi était une vieille Renault délabrée : nous avions détenu, pendant quelques temps, une participation de cinquante, puis de vingt-cinq pour cent, dans l’exploitation commerciale du véhicule. Il y avait des années, maintenant, que le taxi était devenu la propriété exclusive de son ex-associé, le chauffeur Rinaldi : ma mère, cependant, avait tendance à croire qu’elle possédait toujours quelque droit moral sur le véhicule et comme Rinaldi était un être doux, timide et impressionnable, elle abusait un peu de sa bonne volonté. C’est ainsi qu’elle s’était fait conduire par lui de Nice à Salon-de-Provence – trois cents kilomètres – sans payer, bien entendu, et, longtemps après la guerre, le cher Rinaldi, grattant sa tête devenue toute grise, se rappelait encore avec une sorte de rancune admirative comment ma mère l’avait « mobilisé ».

« Elle est montée dans le taxi et puis elle m’a dit, tout simplement : « À Salon-de-Provence, on va dire adieu à  mon fils. » J’ai essayé de me défendre : ça faisait une course de dix heures, aller retour. Elle m’a immédiatement traité de mauvais Français, et elle a menacé d’appeler la police et de me faire arrêter, parce qu’il y avait la mobilisation et que j’essayais de me dérober. Elle était installée dans mon taxi, avec tous ses paquets pour vous – des saucissons, des jambons, des pots de confiture – et elle me répétait que son fils était un héros, qu’elle voulait l’embrasser encore une fois et que je n’avais pas à discuter. […] »

La promesse de l’aube – Romain Gary, 1973.

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Synopsis de l’éditeur :

« – Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele D’Annunzio, Ambassadeur de France – tous ces voyous ne savent pas qui tu es !Je crois que jamais un fils n’a haï sa mère autant que moi, à ce moment-là. Mais, alors que j’essayais de lui expliquer dans un murmure rageur qu’elle me compromettait irrémédiablement aux yeux de l’Armée de l’Air, et que je faisais un nouvel effort pour la pousser derrière le taxi, son visage prit une expression désemparée, ses lèvres se mirent à trembler, et j’entendis une fois de plus la formule intolérable, devenue depuis longtemps classique dans nos rapports : – Alors, tu as honte de ta vieille mère ? »

Auteur :

Romain Gary, de son vrai nom Roman Kacew, est un romancier français. Après la séparation des parents, Gary arrive avec sa mère en France, à Nice, à l’âge de 14 ans. Plus tard, il étudie le droit à Paris. Naturalisé français en 1935, il est appelé au service militaire pour servir dans l’aviation où il est incorporé en 1938. Engagé dans les Forces Aériennes Françaises Libres, durant la Seconde Guerre mondiale, Roman prend le pseudonyme de Gary comme nom de résistant. Décoré commandeur de la Légion d’honneur à la fin de la guerre, il embrasse la carrière diplomatique en 1945. Cette même année, paraît son premier roman : L’Éducation européenne. Pendant sa carrière diplomatique, il écrit de nombreuses œuvres, dont le roman Les racines du ciel, pour lequel il reçoit le Prix Goncourt en 1956. À partir de la publication de La Promesse de l’aube, en 1960, il se consacre de plus en plus à l’écriture.

La Promesse de l’aube est un roman largement inspiré de sa relation avec sa mère, Mina Owczyńska. Le livre est adapté au cinéma par Jules Dassin en 1971 et par Éric Barbier en 2017, ainsi qu’au théâtre. L’édition de poche, parue en 1973, totalise 1,1 million d’exemplaires.

Romain Gary est aussi lié au cinéma pour la réalisation de deux films : « Les Oiseaux vont mourir au Pérou » (1968) et « Kill » (1971) ainsi que par des adaptations de ses œuvres, telles que « Clair de femme » (Costa-Gavras, 1979) ou encore, « La Vie devant soi » (Moshé Mizrahi, 1977).Un peu plus d’un an après le suicide de Jean Seberg, il se donne la mort.

Si cela vous intrigue, voici la bande-annonce de l’adaptation cinématographique de 2017 :

Valériane, alias filledepapiers🤍

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